Jusqu’où va la liberté d’expression des messages postés sur un groupe Facebook ? Ce type de groupe « privé » l’est-il en fait réellement ? Et son contenu peut-il faire l’objet d’un licenciement pour motif grave, sans indemnités ni préavis ? Est-ce au juge de décider ce qui est drôle, satirique ou déplacé ? où est la limite ?

Un récent arrêt de la Cour du travail de Liège1 applique de manière très éclairante les principes juridiques en vigueur face à une situation pratique rencontrée fréquemment.

Des messages inappropriés sexistes ont été écrits par un travailleur d’une grande entreprise de fabrication de verre en commentaire d’une photo d’une collègue postée sur un groupe Facebook reprenant 520 membres (le personnel actuel et ancien de l’entreprise et certaines personnes externes).

L’employeur prend la décision de licencier pour motif grave. Le travailleur se défend en invoquant les éléments suivants :

– Le groupe Facebook en cause est privé et fermé, ce qui formerait une « enceinte coutumière à ce type d’humour entre hommes »

– Le travailleur n’est pas l’auteur des photos et ne s’est contenté que de la commenter sur le ton de l’humour et de la boutade, il n’y aurait dès lors aucune volonté de blesser ou de nuire à quiconque

– le caractère déplacé des messages serait d’ailleurs totalement subjectif

– Sa liberté d’expression qui englobe le droit à critique et le droit à l’humour

– L’absence d’antécédents tout au long de son importante carrière au sein de l’employeur

– Les commentaires auraient été publiés dans un contexte social difficile pour les ouvriers de l’entreprise

Réformant le jugement rendu en première instance, la Cour constate une faute grave dans le chef du travailleur. Sa motivation est en substance la suivante :

– La liberté d’expression n’est pas absolue et peut faire l’objet de limites autorisées, comme celles poursuivant le respect des uns et des autres sur le lieu de travail dans le but de garantir la protection de la santé, de la morale, de la réputation et des droits d’autrui.

– Les commentaires ont un caractère public vu les 520 lecteurs potentiels provenant d’horizons non uniformes et ont un caractère pérenne car écrits

– Les propos sont de nature à offenser ou humilier la personne visée et porter atteinte à son honneur ou bien-être au travail

– Les propos ne révèlent nullement de l’exercice de la liberté syndicale (le travailleur était élu aux élections sociales), du droit de critique ou de satire, pas davantage qu’ils ne relevaient de la mission de « lanceur d’alerte »

– Les propos n’ont pas grand-chose à voir avec le climat social difficile évoqué et la personne visée n’en porte d’ailleurs aucune responsabilité

– Si l’humour est par nature subjectif, la Cour ne perçoit pas en quoi « l’évocation publique et irrespectueuse d’une forme d’excitation ou d’actes sexuels à l’égard d’une collègue relève de ce registre »

– Les propos ont choqué sa victime qui a expliqué poursuivre son travail avec anxiété et remettre en cause sa collaboration avec son employeur à cause des faits litigieux

Il est très intéressant de constater que la Cour relève plusieurs fois que les mêmes propos postés dans d’autres circonstances, auraient pu très bien ne pas être considérés comme fautifs ou graves au sens de la loi. Tout est une affaire de cas par cas, insiste-t-elle.

A la lumière de cet exemple jurisprudentiel, il nous semble que trois éléments primordiaux objectifs doivent dans tous les cas être pris en compte :

  1. La publicité du contenu litigieux : l’appréciation n’est pas la même s’il s’agit d’un groupe « privé » de quelques collègues-amis d’un même milieu socioéconomique, que d’un groupe, comme ici, de centaines de personnes diverses et variées. Un groupe même qualifié de privé selon Facebook peut perdre cette qualité pour être considéré comme public ;
  2. La forme du contenu : écrit ou oral ? les paroles se perdent, les écrits restent… L’écrit est en principe plus susceptible de propagation incontrôlée et en pratique, l’oralité pose généralement des questions de preuve et d’interprétation supplémentaires ;
  3. Le fond du contenu : est-il purement gratuit (comme ici) ou en réponse à un élément particulier méritant une critique ou réaction ? (le contexte social difficile invoqué n’avait ici, selon la Cour, aucun lien avec le contenu des propos litigieux)

Ce qui est subjectif doit être jaugé avec la plus grande objectivité possible. Là nous semble le paradigme utile en la matière. Ce n’est pas à l’employeur ou le juge de décider arbitrairement ce qui est drôle ou pas, mais d’user d’une grille de lecture intelligente la plus objective possible pour éviter les simples opinions, et garantir les décisions raisonnées et justes.

1 http://www.terralaboris.be/spip.php?article3242

photo: Shutterstock Kazan, Russia – Oct 19, 2021: An open security lock and key on the background of the facebook social network logo in the mirror reflection. Par Sergei Elagin