D’une part, le travailleur convoqué par sa direction, anticipant une potentielle décision préjudiciable à son égard, pourrait être tenté de se réserver la preuve de ce qui lui sera dit en enregistrant via son smartphone, à l’insu des autres personnes présentes, toute la discussion.
D’autre part, les personnes représentant l’employeur pourraient s’attendre à la confidentialité de l’entretien puisqu’annoncé comme tel, et à leur droit au respect de la vie privée remis en cause lorsque l’on est enregistré à son insu.
Chaque partie présente donc des intérêts légitimes qui s’opposent entre eux. Comment solutionner cette problématique très discutée dans la pratique ? Un jugement récent prononcé par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 19 janvier 2022 illustre utilement cette question.
Il s’en réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2021 qui a rendu l’attendu suivant :
« En matière civile, l’utilisation d’une preuve obtenue illégalement ne peut être écartée, sauf disposition contraire expresse de la loi, que si l’obtention de cette preuve porte atteinte à la fiabilité de celle-ci ou compromet le droit à un procès équitable. A cet égard, il y a lieu de tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment de la manière dont la preuve a été obtenue, des circonstances dans laquelle elle a porté atteinte au droit de la partie adverse, du besoin de preuve de la partie qui a commis l’illégalité et de l’attitude de la partie adverse ».
Concrètement ceci signifie que l’enregistrement obtenu peut être retenu comme preuve par le juge à condition que :
- L’enregistrement est considéré comme fiable
- L’enregistrement ne compromet pas le droit à un procès équitable
Le juge doit prendre en compte toutes les circonstances entourant cet enregistrement pour décider de sa fiabilité ou du degré de violation du droit au procès équitable.
Le Tribunal applique ces principes et relève dans le cas qui l’occupe :
- Le droit au procès équitable est respecté dès lors que l’employeur a pu prendre connaissance de la totalité de l’enregistrement et qu’il a d’ailleurs lui-même utilisé le contenu en sa faveur ;
- L’enregistrement est fiable car il n’y a pas de doutes sur l’identité des personnes qui s’expriment et la date et l’heure de l’entretien sont indiqués ;
- Il était légitime pour le travailleur de se réserver une preuve du contenu de son entretien de licenciement dès lors que l’employeur n’avait pas assuré un PV contradictoire et alors qu’il soupçonnait son employeur d’utiliser de prétextes pour licencier.
Il nous semble qu’enregistrer son employeur à son insu peut être accepté par le juge si l’enregistrement répond à l’objectif légitime de se réserver la preuve d’un comportement fautif quelconque de l’employeur (pression pour faire signer une renonciation à ses droits, faux motifs de licenciement pour cacher un vrai motif irrégulier, attitude abusive lors de la rupture…) et que l’usage qui en est fait est limité à la manifestation de la vérité en justice.
User de l’enregistrement à d’autres fins de publicité, comme un partage en interne par exemple, nous paraitrait a priori constituer une atteinte disproportionnée aux intérêts de l’employeur.
Du côté patronal, un enregistrement litigieux par le travailleur ne sera pas nécessaire si l’employeur s’assure que son contenu est contradictoire par la rédaction d’un PV contresigné, par exemple.
Photo: shutterstock.com 122181037 Man of eavesdropping on his chest