La Cour de Justice de l’Union Européenne a récemment rendu un arrêt important en matière de protection de travailleurs souffrant d’un handicap.

La notion juridique de « handicap » est sans doute plus large que celle retenue par le langage commun vu qu’elle se définit en droit européen comme visant « une limitation de la capacité, résultant, notamment, d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec différentes barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs ».

L’interdiction légale de tout acte de discrimination suppose que l’employeur soit tenu de prendre les mesures appropriées, à savoir des mesures efficaces et pratiques, en prenant en compte chaque situation individuelle, pour permettre à toute personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, sans que cela entraine toutefois pour l’employeur une charge disproportionnée.

Dans cet arrêt, la Cour a arrêté, à la lumière de ces principes, qu’était contraire au droit européen, une réglementation nationale qui « prévoit que l’employeur peut mettre fin au contrat de travail au motif que le travailleur est dans l’incapacité permanente d’exécuter les tâches qui lui incombent en vertu de ce contrat, en raison de la survenance, au cours de la relation de travail, d’un handicap, sans que l’employeur soit tenu, au préalable, de prévoir ou de maintenir des aménagements raisonnables en vue de permettre à ce travailleur de conserver son emploi, ni de démontrer, le cas échéant, que de tels aménagements constitueraient une charge disproportionnée ».

Or l’article 34 de la loi belge du 03/07/1978 permet la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale dans la situation (parmi d’autres) où le conseiller en prévention-médecin du travail a décidé qu’il est définitivement impossible pour le travailleur d’effectuer le travail convenu et que le travailleur n’a pas fait recours de cette décision ni demandé d’examiner les possibilités relatives à un travail adapté ou à un autre travail.
En théorie, interprété strictement, l’article 34 de la loi du 03/07/1978 permettrait la rupture pour force majeure médicale d’un travailleur en situation d’handicap si ce dernier est resté dans une situation passive après la constatation d’inaptitude définitive du médecin du travail, sans qu’il soit imposé à l’employeur d’avoir vérifié en amont si des aménagements raisonnables étaient possibles…

Cette interprétation parait difficilement conciliable avec l’attendu précité de la Cour de Justice de l’UE.

C’est d’ailleurs également en ce sens que la Cour du travail de Bruxelles s’était prononcée déjà le 23 octobre 2017 (RG 2015/AB/934), soit avant l’entrée en vigueur de l’article 34 dans sa forme actuelle, en constatant un acte de discrimination du fait de rompre le contrat pour force majeure médicale, sans avoir au préalable démontré avoir recherché effectivement des aménagements raisonnables. Cette décision reste d’actualité.

En conclusion, à la lumière de l’arrêt de la Cour de Justice, il nous parait prudent de considérer l’enseignement suivant :

La réglementation européenne s’oppose à l’interprétation de l’article 34 de la loi du 03/07/1978 relative aux contrats de travail, selon laquelle la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale serait actée au motif que le travailleur est définitivement empêché d’effectuer le travail convenu en raison de la survenance, au cours de la relation de travail, d’un handicap, sans que l’employeur soit tenu, au préalable, de prévoir ou de maintenir des aménagements raisonnables en vue de permettre à ce travailleur de conserver son emploi, ni de démontrer, le cas échéant, que de tels aménagements constitueraient une charge disproportionnée.

En définitive, une certaine évolution jurisprudentielle, notamment illustrée par cet arrêt de la Cour de Justice, parait tendre vers des obligations « actives » de l’employeur dans sa gestion face à un handicap. Une attitude trop passive, notamment dans le cadre d’une force majeure médicale, semble clairement critiquée.

Tout ceci pose donc de manière plus générale, la question de l’approche active de l’employeur au regard de son obligation d’aménagements raisonnables alors que traditionnellement, seule l’absence de tels aménagements suite à une demande préalable et formelle formulée par le travailleur est constitutive de discrimination1.

Sans doute comme toujours, il vaut mieux éviter une approche trop binaire à cette question et privilégier une attitude de bon sens, raisonnable et proportionnée.

  1. M. Davagle, Incapacité et inaptitude au travail : droits et obligations de l’employeur et du travailleur, Kluwer, Liège, 2023, p. 514. ↩︎