Une synthèse de Me Charlotte WATTIEZ et Bruno-Henri VINCENT

Personne n’aura raté ce fait divers plutôt cocasse : plusieurs travailleurs de l’entreprise de sidérurgie Thy-Marcinelle située dans la région de Charleroi ont perçu une prime se chiffrant aux alentours de 30.000euros.

Si à la vue de tant de zéros certains restent prudents jugeant un tel versement quelque peu suspect, d’autres auront certainement préféré y croire.

Dans une telle situation, que se passe-t-il ? L’employeur peut-il exiger de son travailleur qu’il restitue les montants versés « en trop » ou le travailleur est-il en droit de conserver ces sommes ?

La réponse est négative : un paiement fait au-delà de la dette doit être remboursé.

Toutefois, il peut s’avérer possible que le travailleur ne se soit rendu compte de rien, surtout si le détail de calcul de l’indemnité est alambiqué ou inexistant. Prenons, l’exemple théorique où l’employeur allouerait non pas 2 mois de préavis, mais 3. Le travailleur pourrait avoir dépensé cet argent en toute bonne foi.

Voici les règles qui s’appliquent.

1. De combien de temps dispose l’employeur pour demander remboursement ?

C’est la question du délai légal de la durée pendant laquelle l’action en répétition de l’indu (1) peut être intentée. Attention il a été jugé que si l’erreur est dans le paiement de l’indemnité de préavis le bref délai d’un an prévu par l’article 15 de la loi relative aux contrats de travail n’est pas applicable (Cass., 18 décembre 2006, JTT, 2007, p. 214 ; C. trav. Liège, 14 novembre 2008, R.G. n°8.473/2007, disponible sur www.juridat.be ).

En ce cas l’action de l’employeur contre son ancien travailleur se prescrit donc conformément à l’article 2262bis, al. 1 du Code civil., soit en 10 ans ! C’est énorme, il faut le dire.

2. Oui mais rien n’interdit à un employeur de payer plus que le légal, pourquoi ne pas considérer qu’il s’agit d’un cadeau ?

Effectivement, la frontière entre indu et libéralité est mince : à quel moment déceler chez l’employeur l’intention de verser plus que ce que la loi ne prévoit ?

Le travailleur bénéficiaire peut prétendre que cette indemnité supplémentaire était volontairement acquittée.

L’employeur doit répondre et expliquer comment l’erreur a été commise et en quoi c’est une erreur (P. VAN OMMESLAGHE, « Chapitre 3 – Le paiement de l’indu » in Traité de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 1096).

Oublions le cas d’école où le paiement est fait à un mauvais numéro de compte appartenant à un tiers, qui doit évidemment retourner le montant pour s’attarder au paiement d’une vraie dette mais avec un mauvais montant (trop élevé)

Cela peut provenir d’une erreur matérielle : un chiffre de trop, une virgule au mauvais endroit dans l’ordre bancaire.

Cela peut provenir d’une inversion de chiffres : l’employeur écrit 11 mois et 9 semaines de préavis en lieu et place de 9 mois et 11 semaines et paie 11 mois et 9 semaines.

Cela peut provenir d’une confusion de lignes par la personne qui introduit l’ordre de paiement : il paie le brut au lieu du net.

L’erreur peut aussi se loger dans la prise en considération d’une mauvaise date d’ancienneté : par exemple regarder la date de signature du contrat plutôt que le premier jour de service.

Comme on le voit, les cas sont différents et le travail de l’employeur ne sera pas le même.

Il appartient à l’employeur de montrer qu’il ne s’agit pas d’avoir voulu se montrer généreux mais de la conséquence d’une erreur humaine. Cette règle est confirmée par la Cour de cassation qui enseigne que « celui qui répète le montant d’un paiement indu ne doit prouver qu’il a fait ce paiement par erreur que si un doute est possible quant à la cause dudit paiement et partant, quant au caractère indu de celui-ci ». (Cass., Pas., 1971, I, 48) »

Cette démonstration sera tantôt trop facile (par exemple non concordance entre le décompte de l’indemnité et le paiement fait), tantôt plutôt aisée (par exemple la durée du préavis mentionné sur le C4 telle que 9 mois et 11 semaines – ne correspond pas au montant payé de 11 mois et 9 semaines), tantôt vraiment délicate (par exemple avoir ajouté 5 000 € au décompte et l’avoir soumis aux lois sociales et à l’impôt)

Si le juge doute, le travailleur gagne.

3. Et quid si le travailleur est incapable de rembourser ce montant indu, dépensé en période de perte d’emploi ?

L’erreur est humaine, certes, mais reste fautive, dirait l’instituteur à l’élève qui plaide pour une cote plus élevée.

Si, en raison de cette erreur le travailleur est anormalement mis en difficultés, ou que cette indemnité anormalement élevée a retardé l’intervention du chômage, il peut évidemment demander réparation. Et cette réparation peut parfois être du même montant que celui à rembourser…

En conclusion, vérifier les décomptes de sortie de son côté afin de savoir s’il y a trop peu ou trop. Et s’il y a trop ne pas croire trop vite qu’il s’agissait de son jour de chance….

Novembre 2018

(1) L’action en répétition de l’indu est l’action par laquelle une personne entend récupérer la somme qu’elle a versée indument à une autre personne.