texte écrit par Charlotte Wattiez et Arnaud Vangansbeek

L’arrêté royal modifiant le code du bien-être au travail concernant le trajet de réintégration pour les travailleurs en incapacité de travail a été arrêté le 11 septembre 2022 et rentrera – partiellement * – en vigueur le 1er octobre prochain. Concrètement, qu’est-ce qui change ?

1. Un nouveau devoir d’information

Le nouvel article I.4-71/1 impose désormais au conseiller en prévention-médecin du travail (ou à son personnel infirmier) d’informer le travailleur en incapacité de travail des possibilités de reprise du travail, y compris les possibilités de demander une visite de pré-reprise ou d’initier un trajet de réintégration.

Cette information devra se faire « aussi vite que possible », sans toutefois préciser le délai.

L’insertion de cette nouvelle obligation se fonde sur le constat suivant : plus un travailleur s’absente longtemps du travail, plus ses chances de reprendre effectivement son travail dans l’entreprise diminuent (selon une étude réalisée par la KUL, citée par le SPF Emploi, Travail et Concertation Sociale https://emploi.belgique.be/fr/projets-de-recherche/2020-evaluation-de-limpact-de-la-nouvelle-reglementation-sur-la-reintegration?back_to_theme=3295  ).

Le gouvernement entend répondre à ce constat en intégrant plus activement le conseiller en prévention-médecin du travail

2. La modification de certains délais

Clarification, allongement et réduction : le texte de l’arrêté royal s’attaque à certains délais contenus dans le Code du bien-être :

  • Les délais sont désormais visés en jour « calendrier », en lieu et place de jours « ouvrables ». Dès lors, tous les jours de la semaine sont pris en considération ;
  • Le délai endéans lequel le travailleur peut introduire un recours contre la décision d’inaptitude définitive pour le travail rendue par le conseiller en prévention médecin du travail est porté de 7 jours ouvrables à 21 jours calendrier ou encore le délai durant lequel le travailleur accepte le plan de réintégration, auparavant de 5 jours ouvrables, à aujourd’hui 14 jours à calendrier (nouvel article I.4-80) ;
  • Le délai endéans lequel l’employeur peut entamer le trajet de réintégration est réduit à 3 mois (nouvel article I.4-82).

Remplacer les « jours ouvrables » par « jours calendrier » tend à clarifier les délais de la procédure.

Il n’est pas rare que le trajet de réintégration soit utilisé par l’employeur en vue de rompre un contrat de travail sans préavis. Nous pensons que l’allongement des délais de recours a été prévu pour prévenir ces situations.

3. Un lien renforcé avec les acteurs de terrain

En vue de l’évaluation de réintégration par le médecin du travail et dans le cadre de l’élaboration d’un plan de réintégration par l’employeur, le nouveau texte permet à ces derniers – moyennant l’accord du travailleur – de se concerter avec un plus grand nombre d’acteurs qu’auparavant : le médecin-traitant ou le médecin qui a établi le certificat médical, le médecin conseil, d’autres conseillers en prévention et désormais le coordinateur retour au travail actif au sein des mutuelles ou encore des experts au sein des services et institutions des différentes régions et communautés (VDAB, Actiris et Forem).

Ces possibilités de concertation sont inscrites au nouvel article I.4-73.

Une nouvelle illustration de la volonté de rendre plus actifs les acteurs de terrain.

4. Politique collective de réintégration

Un nouvel article 1.4-79 tend à maximiser les chances de succès de la réintégration en l’inscrivant dans un cadre collectif, impliquant tous les acteurs de l’entreprise de manière constructive.

On y relève ce qui suit :

  • L’employeur doit se concerter régulièrement avec le CPPT au sujet des possibilités, au niveau collectif, de travail adapté ou d’autre travail, et des mesures pour adapter les postes de travail ;
  • Le conseiller en prévention-médecin du travail doit fournir annuellement à l’employeur et au CPPT un rapport quantitatif et qualitatif concernant un certain nombre d’informations (a minima sur les consultations spontanées réalisées, les adaptations au poste de travail et la reprise du travail, les trajets de réintégration, les visites de pré-reprise et les demandes d’adaptation du poste de travail) ;
  • L’employeur doit fournir annuellement au CPPT les démarches entreprises pour trouver un travail adapté aux travailleurs et les raisons pour lesquelles, le cas échéant, aucun plan de réintégration n’a pu être établi ou a été refusé, en veillant à ne pas permettre l’identification des travailleurs concernés ;
  • Une évaluation au moins annuelle doit avoir lieu en présence du conseiller en prévention-médecin du travail sur la politique collective de réintégration dans l’entreprise. Si nécessaire, des adaptations et propositions sont discutées pour améliorer la politique de bien-être en général ;

Ces obligations, de l’employeur en particulier, ne doivent pas être prises à la légère. Pour illustration, dans un jugement du 4 janvier 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a condamné l’employeur à une somme de 5.000 EUR à titre de dommages et intérêts pour absence de politique de bien-être au travail en matière psychosociale.

Ces nouvelles dispositions pourraient constituer des bases légales pour fonder une telle action du travailleur si l’employeur a manqué à ses obligations en matière de politique de bien-être.

5. Des obligations renforcées pour l’employeur

Le nouvel article I.4-74 §1 clarifie et précise les contours des obligations de l’employeur. Lors de l’élaboration du plan de réintégration, l’employeur doit désormais examiner les possibilités concrètes d’un (poste de) travail adapté (ou d’un autre travail) en tenant compte « au maximum » des recommandations du conseiller en prévention médecin du travail et de la politique collective de réintégration. Le cas échéant, le droit à un aménagement raisonnable pour les personnes handicapées doit être pris en compte.

Le travailleur aura le droit d’obtenir des explications sur le plan élaboré par l’employeur.

L’employeur devra désormais fournir une justification étayée démontrant qu’il a sérieusement exploré les possibilités d’un autre (poste de) travail ou d’un travail adapté. Une obligation de justification plus lourde lui est ainsi imposée.

Selon nous, le but est de responsabiliser l’employeur en lui imposant un devoir d’investigation plus complet au sein de l’entreprise avec pour but premier de réintégrer le travailleur. Les refus de réintégration non-justifiés ne pouvant plus être admis.  

6. Fin du trajet de réintégration

Un nouvel article I.4-76, §1er énumère désormais les différentes situations dans lesquelles un trajet de réintégration prend fin :

  • Lorsque le travailleur n’a pas accepté les invitations répétées du conseiller en prévention-médecin du travail à se faire examiner ;
  • Lorsque le conseiller en prévention-médecin du travail prend une décision C dans le formulaire d’évaluation de réintégration (impossibilité temporaire à prendre une décision médicale) ;
  • Lorsque l’employeur remet son rapport motivé justifiant de l’impossibilité d’une réintégration à un poste adapté ;
  • Lorsque le travailleur refuse le plan de réintégration proposé ;
  • Lorsque le plan de réintégration est accepté par le travailleur.

Cette précision n’est pas sans intérêt car en principe, la possibilité de recourir à une force majeure médicale qui rompt le contrat de travail sans indemnité ni préavis, n’est possible qu’à la fin du trajet de réintégration (article 34 loi du 3/07/1978 relative aux contrats de travail).

7. La force majeure médicale

Il n’était en principe possible de rompre le contrat de travail pour force majeure médicale (sans préavis) qu’à l’issue du trajet de réintégration (article 34 loi du 3/07/1978 actuel).

Les nouveaux articles 34 de la loi sur les contrats de travail et I.4-82/1 du Code bien-être pourraient bien changer la donne. Il serait prévu qu’après une période d’incapacité de travail ininterrompue de 9 mois minimum, à la demande du travailleur ou de l’employeur, le conseiller en prévention-médecin du travail puisse déterminer s’il est définitivement impossible d’effectuer le travail convenu dans le cadre d’une nouvelle procédure, selon laquelle :

  • Le conseiller en prévention-médecin du travail invite le travailleur à un examen pour déterminer la réalité de l’inaptitude définitive sous forme de « constatation » ;
  • Le travailleur indique par écrit pendant l’examen ou dans les sept jours de la date de la constatation du médecin du travail s’il souhaite que les conditions et modalités auxquelles le travail adapté ou l’autre travail doit répondre sur base de son état de santé actuel et son potentiel, soient examinées.
  • Le conseiller en prévention-médecin du travail communique sa constatation à l’employeur et au travailleur au moyen d’un envoi recommandé au plus tard dans les 3 mois suivant la réception de la notification en indiquant les possibilités de recours, et le cas échéant, il indique aussi les conditions et les modalités pour un travail adapté ;
  • Si le conseiller en prévention-médecin du travail a constaté qu’il est définitivement impossible pour le travailleur d’effectuer le travail convenu, et si le travailleur le souhaite, le conseiller en prévention-médecin du travail fait les démarches nécessaires afin de déterminer les conditions et modalités d’un travail adapté ;

Le licenciement pour force majeure médicale ne pourra être invoqué que dans ce cadre limité, après 9 mois d’incapacité de travail, soit parce que l’employeur ne peut pas offrir au travailleur un emploi adapté, soit parce que le travailleur n’a pas donné suite aux possibilités de travail adapté qui lui avaient été présentées[1].

Cette procédure n’entrera en vigueur qu’à l’issue du processus parlementaire qui aura modifié l’article 34 de la loi du 3/07/1978*. Ce n’est donc pas encore pour tout de suite. Affaire à suivre.

Photo: 427364572 – Shutterstock – paikong


[1] https://dermagne.belgium.be/fr/malades-longue-dur%C3%A9e